Au veuvage

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Extrait du livre de C.G Van der Linden “Le pigeon voyageur”
Paru en 1950 aux éditions Payot – Tous droits réservés.
– Comme c’est la méthode de jeu à la mode nous nous proposons d’en exposer l’essentiel ci-après

LES ORIGINES ET LES AVANTAGES

C’est dans la région de Liège que le veuvage fut inventé il y a à peu près un demi-siècle. Peu avant la première guerre mondiale, les grands amateurs de la région de Charleroi la mirent à leur tour en pratique. Petit à petit cette méthode se diffusa partout et, actuellement, elle est appliquée dans tous les pays où le jeu à pigeons a des adeptes. Mais, c’est une méthode difficile en ce qu’elle n’admet pas l’à peu près : on réussit ou on ne réussit pas, il n’y a pas de milieu. Elle offre d’énormes avantages : le pigeon n’élève pas et ne subit pas, ainsi, les fluctuations de forme inhérentes à l’élevage. La forme du veuf monte lentement, elle est constante et peut durer pendant deux à trois mois. Le veuf est prêt à être enlogé toutes les semaines, même jusqu’aux distances de 500 kms. Ce n’est qu’à partir de 600-700 kms qu’il vaut mieux lui donner du repos entre deux enlogements. Comme le veuf ne s’épuise pas à l’élevage il dure plus longtemps et il n’est pas rare de voir des mâles de 6 à 7 ans se distinguer encore aux grands concours. Mais, il est évident que le veuvage a de grands inconvénients. On élève peu avec les meilleurs voyageurs et la majorité des colonies s’épuisent ainsi au bout de quelques années. Le mâle se fatigue du veuvage et, si l’on n’y prend garde, il n’en veut plus après une ou deux saisons. Enfin, par temps sombre et pluvieux, même parfois par vent arrière, le veuf s’égare à cause de sa fougue. Il est imbattable par beau temps à toute distance, mais principalement entre 300 et 800 kms.

AU PRINTEMPS

Séparés de leurs femelle vers la fin de l’année, les futurs veufs sont remis en ménage entre le 15 février et le début de mars. Généralement ils élèvent un jeune à la première nichée, et ensuite, après une dizaine de jours de couvaison, les femelles sont mises en volière : le veuvage commence. La question de l’élevage, avant le début des concours, est controversée. Il est des amateurs qui n’en veulent pas, sous prétexte que la fonction de nourricier fatigue le pigeon et lui enlève, ainsi, une partie des réserves qu’il a accumulées en hiver.

 – Ensuite, l’élevage précipite la mue. Nous avons fait des essais nombreux et nous pouvons dire que l’élevage du printemps n’est pas nécessaire… si l’on ne désire jouer qu’une saison ! Mais, au bout de deux saisons, le mâle faiblit, s’il n’élève pas. N’a-t-on pas vu les grands amateurs – au temps où la différence entre grands joueurs et amateurs ordinaires était énorme – mettre leurs meilleurs sujets au repos et à l’élevage une saison sur deux ? Pour que le veuf dure, il faut lui permettre d’élever des jeunes. Il est des veufs, qui n’élèvent pas du tout, ni avant, ni après la saison de jeu : c’est proprement absurde et à ce système le sujet le plus solide et le mieux équilibré est guetté par la dépression nerveuse. Nous avons poussé plus loin les expériences. Depuis la fin de la dernière guerre, nos veufs élèvent d’abord une nichée complète : deux jeunes, puisque la nature détermine exactement le nombre d’oeufs que pond la femelle. C’est une méthode de triage à peu près infaillible, car le mâle gui faiblit à l’élevage n’a pas l’étoffe d’un bon voilier. Au deuxième nid, nous laissons un jeune, nous séquestrons la femelle quand ce jeune a 10 jours et ainsi nous commençons le jeu sur demi veuvage. Cette variante du veuvage est utile pour l’équipe destinée au long cours, puisque ainsi les veufs restent plus calmes et ne montent en grande forme qu’au moment opportun, quand les beaux concours commencent. La mise au veuvage sur oeufs se fait comme suit: on commence les dressages et au retour du premier concours les mâles ne retrouvent plus leurs femelles. Ils reprennent leurs oeufs un jour ou deux et, ensuite, les abandonnent. Cette façon de procéder provoque une excitation sexuelle chez les mâles, ils mangent mal et, si les résultats des deux premières étapes sont souvent brillants, il n’est pas rare de voir ces veufs rutilants et nerveux s’effondrer au bout de peu de temps.
On peut enfin n’accoupler qu’au 15 mars et commencer le veuvage sur le jeune du premier élevage.

PREMIER DRESSAGES

Il est des amateurs nombreux qui dressent leurs veufs sur couvaison, mais c’est précaution superflue s’ils ont déjà voyagé les années précédentes. De toute façon, sitôt la femelle enlevée, les premières leçons commencent. Après trois jours d’isolement, on lâche les mâles à une dizaine de kms et au retour leur femelle se trouve au casier. Ne laissez les conjoints qu’une ou deux minutes ensemble et évitez tout rapprochement. On fera ainsi deux ou trois petites étapes, de préférence avec lâcher en commun. Si on en a les moyens, on peut allonger la distance et faire des lâchers de groupe à 50 kms. Il n’est pas utile d’aller plus loin. Le dernier lâcher aura lieu le jour de l’enlogement. Ce jour-là, 10 km suffisent, même 1 ou 2 km si l’on n’a pas le moyen de faire plus. Pour ce dernier lâcher on aura pris soin de remettre le “plateau ” (le boulin) au mâle avant le départ.
Au retour on laisse le couple ensemble, tout en évitant les rapprochements, et on saisit le mâle, au momet où il “rappelle” tout doucement sa moitié.
En rentrant de voyage les veufs sont accueillis fenêtres grandes ouvertes et femelles au casier. Le couple peut fêter en toute liberté l’heureux retour. Il ne faut pas enlever trop tôt la femelle, car il faut que le mâle en ait… pour sa peine.
La présence de sa femelle, c’est la récompense de l’effort qu’il a fourni. La semaine suivante on peut recommencer les petits dressages, sauf si l’on joue à bonne distance. Dans ce cas mieux vaut ne pas forcer la dose.

LES CONCOURS

A présent, les vrais concours vont commencer. Avant l’enlogement le mâle reçoit son ” boulin ” (ou “plateau”) : c’est signe que le départ est proche. On lâche l’équipe à quelques kms, au retour les femelles sont au poste et on met les mâles au panier sitôt qu’ils ont été auprès de leur moitié pendant une ou deux minutes. En pleine saison ces dressages ne sont plus nécessaires, car les veufs ont vite compris que tout cela n’est que mise en scène, hors-d’oeuvre et que le plat de résistance les attend au retour. Aux enlogements à partir de 600 km., nous mettons le plateau au casier une heure avant le départ: cela suffit pour faire comprendre au veuf que le travail sérieux va commencer. En juillet, il est parfois utile de varier la préparation. Certains mâles ne rêvent que plaies et bosses : on leur met un ” batailleur” au casier. D’autres trouvent grand plaisir à transporter des brins de paille : on leur en met quelques-uns à portée et il n’est pas rare de voir rentrer de volée l’un ou l’autre veuf portant en son bec de l’herbe sèche, ou une fane de pommes de terre. Avant guerre nous avons eu un mâle de bonne valeur, appelé le ” bâtisseur “. A chaque occasion, tout en étant veuf, il ramenait du matériel pour construire un nid. Si on lui passait une poignée de brins de paille au matin, le soir tout était mis en place. A défaut de brins de paille, il secouait les barreaux de sa case et s’épuisait ainsi en efforts inutiles.
On joue parfois les veufs, fin juillet, en chasse à nid. Pour cela il faut qu’ils soient en excellente condition et que l’étape qui les attend ne comporte qu’une journée de vol : 700 km au maximum. Quelques heures avant le départ on leur donne leur femelle, on laisse faire une petite volée et, ensuite, on enferme les couples au casier. Par ciel clair et temps relativement facile, on réussit parfois ainsi un coup d’éclat. Il est des mâles qui ont la passion de l’élevage : à ceux-là on passe un jeune fin juin et, une deuxième fois, fin juillet. En général, ils gavent ce jeune et on voit reprendre une nouvelle forme. Surtout le veuf de cinq à sept ans s’accommode parfaitement de cette variante du veuvage. Enfin, on peut couper la période de veuvage par une période d’élevage. Cela se fait, surtout, par les amateurs qui ont plusieurs équipes. Une équipe, accouplée tôt, est au veuvage du 15 avril au 15 mai, la suivante du 15 mai au 15 juin, la première recommence du 15 juin au 15 juillet et la deuxième termine la saison, en prenant le relai au 15 juillet. C’est évidemment du sport de professionnel car l’amateur ordinaire n’a ni le temps ni les installations pour employer des méthodes aussi compliquées.
En principe le veuvage ne doit durer que de deux mois à dix semaines. C’est pour cela que le colombophile limité par le temps, ou désireux de jouer uniquement les grandes épreuves, commence le veuvage fin mai et termine le jeu fin juillet. Ces deux mois doivent lui suffire pour établir ou maintenir sa réputation.